Pourquoi sommes-nous submergés par nos émotions?
Avez-vous déjà fondu en larmes ? Quitté une pièce en claquant la porte ? Perdu patience avec vos enfants ? Oublié votre discours devant votre assemblée lors d’une conférence ? Être paralysé.e et dans l’incapacité de communiquer avec votre manager, votre partenaire ?
Tous ces comportements sont le signe d’un débordement émotionnel. Lorsque vous perdez vos moyens, vos réactions sont disproportionnées et vos comportements inadaptés face à la situation que vous vivez.
Où naissent les émotions ? Que se passe-t-il dans le cerveau ? La mémoire joue-t-elle un rôle dans la difficulté à gérer ses émotions ?
1. Exemples concrets de débordement émotionnel
1.1 Valentine : « Je suis nulle, je vais perdre mon poste »
Valentine a rendez-vous avec sa manager pour son entretien trimestriel. Bien que ses résultats soient excellents, elle a une boule au ventre. Ses mains sont moites. Elle a chaud. Elle transpire. Son cœur bat vite. Elle a hâte que ce rendez-vous soit terminé.
Sa manager commence par lui faire un retour positif. Valentine a du mal à recevoir les compliments. Une part d’elle doute. Sa manager lui montre maintenant des pistes d’amélioration. Valentine le vit très mal. En effet, à chaque entretien elle a toujours les mêmes pensées : « je ne suis pas à la hauteur. Je ne suis pas assez bien. Je dois travailler plus et m’améliorer. Je vais perdre mon poste ».
Ses pensées toxiques la paralysent. Elle entend la voie de sa manager de loin. Elle n’est plus présente à la conversation. Les larmes lui montent aux yeux. Elle ne peut plus parler. Elle trouve un moyen pour finir cet entretien.
1.2 Thibaut : « Ils ne me respectent pas ! »
Thibaut est en réunion. Il est chef de projet. C’est lui qui mène la réunion. Il y a du bruit. Tout le monde parle en même temps. Tous ces stimulis le stressent. Il a du mal à obtenir le silence malgré ses appels au calme. Il commence à s’agacer. Il est irrité. Il a chaud. Son corps s’agite. Sa gorge est sèche. Il se dit que ses collaborateurs se moquent de lui. Qu’ils ne le respectent pas.
Ses pensées intrusives accroissent son énervement. Il arrive enfin à prendre la parole. Son collaborateur le coupe. C’est l’explosion. Il part en claquant la porte.
1.3 Martine : « Je ne suis pas à ma place »
Martine dîne avec des amis. L’ambiance est bonne. Elle rigole. Les conversations sont légères. Elle se sent bien. Elle est à l’aise et participe avec engouement aux discussions.
Jeremy détourne la conversation pour parler du livre de Sartre qu’il vient de terminer. S’ensuit une conversation sur la littérature et la philosophie. L’attitude de Martine change totalement. Elle est en colère contre Jeremy d’avoir amené ce sujet.
« Il faut toujours qu’il ramène sa science celui-là » se dit-elle. Elle ne se sent plus à sa place. Elle est très mal à l’aise. Son visage est tendu. Son regard est vide. Au risque de passer pour impolie et irrespectueuse, elle prend son téléphone pour se donner une contenance. Au fond d’elle elle a envie de disparaitre dans un trou de souris.
1.4 Un point commun : l’interprétation erronée de la réalité
Ces trois situations illustrent comment le débordement émotionnel est souvent lié à la perception biaisée de la réalité. Nos croyances et nos biais cognitifs influencent notre manière d’interpréter les événements, amplifiant parfois notre anxiété.
2. L’origine des émotions : voyage au cœur du cerveau
Nos émotions sont activées bien avant que nous en ayons conscience. Elles sont le fruit d’une mécanique complexe impliquant plusieurs parties du cerveau.
2.1 Les trois cerveaux selon Paul MacLean
Selon la théorie du médecin et neurobiologiste Paul McLean ou « théorie du cerveau triunique », basée sur l’évolution de l’espèce humaine, 3 cerveaux seraient ainsi apparus successivement et cohabiteraient aujourd’hui chez l’homme
1. Le cerveau archaïque (ou reptilien, primitif) est le plus ancien.
- Il gère les besoins fondamentaux liés à la survie de l’individu et de l’espèce tels que la respiration, le sommeil, le rythme cardiaque
- C’est le siège des comportements réflexes, instinctifs : il déclenche la réaction de fuite et de combat face à un danger immédiat
- Il est insensible à l’expérience car ce cerveau ne bénéficie que d’une mémoire à court terme (le même évènement produira toujours le même comportement automatique)
2. Le cerveau limbique (ou émotionnel) :
- Centre des émotions, de l’affectivité, des processus de mémoire
- Ses fonctions :
- Système d’alarme et mémoires émotionnelles
- Adaptation à l’environnement social
- Réguler les instincts primitifs de survie venant du cerveau archaïque notamment en contrôlant la réaction de fuite et d’attaque
- Constitué de l’amygdale, l’hippocampe, l’hypothalamus
3. Le cerveau supérieur (ou néocortex) = Nous distingue des animaux
- Représente 85% du volume total du cerveau et enveloppe tout le système limbique d’une couche de neurones
- Il est malléable et souple contrairement au cerveau limbique et archaïque
- Siège des fonctions cognitives supérieures : le langage, la conscience, l’imagination. On parle aussi du cerveau « pensant »
- Gère les cerveaux plus anciens : le cerveau archaïque et le cerveau limbique
2.2 Focus sur le cerveau limbique ou émotionnel
Le cerveau émotionnel est composé de :
L’amygdale :
- Maturité dès la naissance : l’amygdale est active dès la naissance et joue un rôle clé dans les réactions émotionnelles.
- Souvenirs inconscients de peur: elle enregistre les peurs de l’enfance de manière inconsciente et durable.
- Régulation des émotions et comportements : elle aide à contrôler nos réponses émotionnelles et à guider nos comportements face aux émotions.
- Identification des dangers et des émotions des autres : elle détecte les menaces et reconnaît les expressions faciales et les signaux émotionnels des autres.
- Création de souvenirs émotionnels : elle lie les souvenirs à des émotions spécifiques.
- Réactions rapides et adaptation : elle déclenche des réactions physiques avant même que nous en soyons conscients, ce qui est essentiel à la survie.
- Mémoire implicite (inconsciente) : elle est le siège de la mémoire implicite, c’est-à-dire des souvenirs inconscients.
L’hippocampe :
- Immaturité à la naissance : l’hippocampe est immature dès la naissance.
- Mémoire explicite (consciente) : il est le siège de la mémoire explicite, c’est-à-dire des souvenirs conscients.
- Rôle clé dans la mémoire à long terme : il joue un rôle crucial dans la formation et le stockage des souvenirs à long terme.
- Cognition, apprentissage et repérage spatial : il est essentiel pour la cognition, l’apprentissage et le repérage dans l’espace.
- Création de représentations mentales : l’hippocampe associe les émotions à des détails spécifiques (temps, lieu, personnes, sensations physiques) pour créer des cartes mentales complètes des événements vécus.
- Impact du stress intense : en cas de stress intense, son activité diminue, ce qui perturbe l’attention et la mémoire, rendant les souvenirs flous, voire effacés.
L’hypothalamus :
- Centre de régulation des émotions : l’hypothalamus joue un rôle central dans la gestion des émotions en régulant nos réactions physiques et comportementales face aux émotions.
- Réactions physiologiques : il contrôle les réponses corporelles aux émotions, comme l’accélération du cœur, la transpiration ou les frissons, en réagissant à des émotions fortes comme la peur ou la colère.
- Lien avec le système hormonal : l’hypothalamus agit sur le système endocrinien (les glandes hormonales), en produisant des hormones comme l’adrénaline et le cortisol, qui sont libérées en réponse au stress ou à la peur.
- Réponse au stress : lorsqu’un danger est perçu, l’hypothalamus active la réponse « combat ou fuite » (fight or flight), augmentant ainsi les niveaux de stress pour nous préparer à réagir rapidement.
- Régulation de l’appétit et des besoins physiologiques : il influence aussi nos comportements liés à la nourriture, la soif, le sommeil et la reproduction, qui peuvent être influencés par nos états émotionnels.
- Interaction avec le système limbique : l’hypothalamus travaille étroitement avec d’autres structures du système limbique, comme l’amygdale et l’hippocampe, pour intégrer les émotions à nos réponses physiques et comportementales.
- Régulation de la motivation : il est impliqué dans la motivation liée à nos émotions, comme l’envie de rechercher des récompenses ou d’éviter des situations négatives, en fonction de l’émotion ressentie.
2.3 Comment le cerveau gère un débordement émotionnel ?
- L’information issue de nos sens est détectée par le thalamus qui est une sorte de gare de triage.
- L’information est renvoyée dans différentes parties du cerveau dont le cerveau limbique. L’amygdale et l’hippocampe attribuent une valeur de plaisir/déplaisir et s’interrogent sur la stratégie à adopter « combattre ou fuir ». Ils déclenchent alors les mécanismes de réaction.
- L’hypothalamus qui contrôle le système nerveux prend alors le relais et déclenche les sensations corporelles (augmentation du rythme cardiaque et de la pression sanguine, dilatation des pupilles, augmentation ou ralentissement de la respiration)
- La régulation des émotions est possible grâce à l’intervention du cerveau préfrontal qui lui analyse la situation et calme le jeu (c’est lui qui vous fait écraser l’araignée. Une fois le danger écarté le calme revient dans le corps)
Si notre cerveau est si bien organisé pour gérer nos émotions, pourquoi ces dernières nous envahissent-elles parfois ? La mémoire joue-t-elle un rôle dans leur gestion ?
3.2 Comment se forme la mémoire et son rôle dans le débordement émotionnel ?
Le débordement émotionnel est souvent lié à la façon dont notre cerveau enregistre et interprète les expériences passées. La mémoire, en particulier à travers l’amygdale et l’hippocampe, joue un rôle clé dans nos réactions émotionnelles.
- L’amygdale est un centre crucial des émotions et des réponses émotionnelles. Elle joue un rôle dans la formation des croyances liées aux émotions et notamment à la peur et à l’anxiété.
- L’hippocampe en plus de son rôle dans la mémoire à long terme est impliqué dans la construction et l’organisation des souvenirs et des croyances sur notre environnement. Il relie les émotions (gérées par l’amygdale) à des événements spécifiques, permettant à nos croyances et à nos comportements de se former à partir d’expériences passées.
Notre mémoire ne se limite pas à un simple enregistrement d’événements. Elle forme une véritable carte mentale, construite par des connexions neuronales qui lient entre elles tous les éléments d’une expérience :
- les émotions ressenties,
- le comportement adopté,
- le lieu,
- le moment,
- les personnes impliquées,
- ainsi que nos perceptions sensorielles (vue, ouïe, odorat, toucher).
De plus, elle intègre aussi les croyances que nous avons construites autour de ces situations. Chaque souvenir, chaque expérience est donc un ensemble complexe d’informations interconnectées qui influence non seulement notre passé, mais aussi notre manière de percevoir et de réagir au présent.
Prendre conscience de la manière dont nos souvenirs sont liés à nos émotions et croyances nous permet de mieux comprendre nos réactions actuelles et d’identifier les schémas qui gouvernent nos comportements.
3.3 Le pouvoir de la pensée et son influence sur le débordement émotionnel
95 % de nos pensées sont inconscientes, seules 5 % sont conscientes.
Nous sommes conditionnés par nos expériences passées. En effet, nos réactions ne se limitent pas à ce qui se passe sur le moment. Le cerveau émotionnel enregistre chaque expérience de notre vie. Lorsqu’une situation chargée émotionnellement survient, l’amygdale s’active et fait remonter à la surface les souvenirs similaires dans notre mémoire émotionnelle.
Ainsi, la réponse que nous apportons à cette situation est influencée par toutes les émotions liées à nos expériences passées, parfois bien au-delà de ce que nous vivons actuellement. Prendre conscience de ce mécanisme nous permet de comprendre pourquoi certaines émotions semblent disproportionnées et comment elles sont façonnées par notre passé.
Dans le cas de Valentine, Thibaut et Martine, leurs pensées, nourries par leurs croyances, génèrent de l’anxiété et la réponse émotionnelle qui y est liée. Convaincu que ces pensées représentent la réalité, le cerveau entre alors en mode survie, déclenchant une réaction de fuite ou d’attaque.
Nos croyances deviennent notre réalité. C’est à travers elles que nous lisons le monde qui nous entoure. C’est pourquoi, 2 personnes qui vivent la même situation réagissent de manière différente.
C’est ce que relate la célèbre citation de buddha « Nous sommes ce que nous pensons. Tout ce que nous sommes résulte de nos pensées. Avec nos pensées nous bâtissons notre monde. »
Reprenons nos 3 situations de débordement émotionnel
- Valentine pense qu’elle est nulle et qu’elle va perdre son poste. Alors, elle fond en larme et se déconnecte.
- Thibaut pense que ses collègues ne le respectent pas et se moquent de lui. Conséquence, il se met en colère et quitte la réunion en claquant la porte.
- Martine honteuse de ne pas se sentir à la hauteur de la conversation, se cache derrière son téléphone.
Les 3 protagonistes anticipent quelque chose qui pourrait se passer : perdre son travail pour Valentine, être jugé par ses collègues pour Thibaut et peur que ses amies se moquent d’elle pour Martine.
Ils stressent par anticipation.
3.4 Apaiser le débordement émotionnel : une question de plasticité cérébrale
Le stress chronique, en maintenant un niveau élevé de cortisol dans le cerveau, aggrave le phénomène de débordement émotionnel. Fatigue, troubles du sommeil, anxiété constante : le corps et l’esprit restent en état d’alerte.
Bonne nouvelle : ce n’est pas une fatalité ! Grâce aux neurosciences, nous savons que le cerveau peut être reprogrammé. Des techniques comme l’EFT (Emotional Freedom Techniques), l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) ou le Somatic Experiencing permettent de désamorcer les réponses émotionnelles excessives et d’apprendre à réguler ses réactions face aux situations stressantes.
En travaillant sur la mémoire émotionnelle et les croyances associées, il est possible de retrouver un équilibre et d’éviter que les émotions ne prennent le dessus de manière incontrôlée.
Conclusion : Comment mieux gérer son débordement émotionnel ?
Le débordement émotionnel est une réaction instinctive à un stress perçu. Comprendre son origine physiologique permet d’adopter des stratégies efficaces pour le réguler :
- Prendre du recul sur ses pensées automatiques
- Pratiquer des exercices de respiration et de pleine conscience
- Travailler sur ses croyances limitantes
- Utiliser des techniques de régulation émotionnelle comme l’EFT ou la cohérence cardiaque
En développant une meilleure connaissance de notre cerveau et de nos émotions, nous pouvons apprendre à transformer nos réactions automatiques en réponses adaptées.
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